Considérons le cas typique de Mme Black : Mme Black est une veuve de soixante-et-onze ans, avec quatre enfants adultes. Elle souffre d’arthrose et de diabète, pour lesquels elle prend des médicaments. Elle vit seule et a tendance à être isolée. Elle s’occupe de ses besoins personnels tels que la cuisine, l'entretien ménager, l'épicerie et les opérations bancaires. Elle mange très peu. Bien qu’elle n’utilise pas une aide à la marche, elle semble avoir ralenti le pas ces derniers temps. Ses enfants la décrivent comme « fragile ». La plupart des gens semblent avoir une notion intuitive de ce qui constitue la fragilité. Alors faut-il considérer Mme Black comme fragile ? Si tel est le cas, peut-on faire quelque chose à ce sujet ?
Ces questions sont en fait très débattues parmi les experts qui étudient le vieillissement (1). Il n’y a toujours pas un outil largement utilisé par les médecins pour diagnostiquer la fragilité. Les gériatres déclarent néanmoins qu’ils peuvent identifier la fragilité chez les patients quand ils les voient. Il semble, toutefois, que les médecins et les chercheurs soient incapables de s’entendre sur une définition unique de la fragilité, ce qui suggère que la fragilité pourrait en fait être dans l'oeil du spectateur. Ce billet de blogue porte sur les connaissances actuelles et les questions liées à la fragilité.
Qu'est-ce que la fragilité ?
La fragilité représente une forme de vulnérabilité ou de faiblesse chez les personnes âgées. C'est toutefois différent de simplement « vieillir », puisque certaines personnes vivent jusqu'à un âge avancé sans pour autant devenir fragiles. En outre, des individus du même âge peuvent être très différents en termes de fragilité. La fragilité serait le contraire de ce que beaucoup considèrent comme un vieillissement réussi.
Bien qu’il n’y ait encore aucun accord entre les experts sur une définition commune ou un outil clinique pour identifier la fragilité, la définition la plus largement appliquée dans la recherche compte cinq symptômes (2) :
- une perte de poids involontaire
- de la faiblesse : (c'est-à-dire une diminution de la force musculaire)
- de l'épuisement : (c'est-à-dire un sentiment constant de fatigue)
- de la lenteur : (c'est-à-dire un ralentissement de la vitesse de marche)
- un faible niveau d’activité physique
Un individu avec au moins trois de ces cinq symptômes est considéré comme fragile (2).
De nombreuses autres définitions ont été proposées et étudiées (3 ; 4). La plupart incluent ces cinq principaux symptômes sous une certaine forme, mais intègrent aussi d'autres composantes. Plus particulièrement, beaucoup recommandent l'inclusion de la diminution de la fonction mentale et la dépression comme symptômes de fragilité.
La fragilité : que peut-on faire à son sujet ?
Même s'il n’y a pas encore une compréhension commune des spécificités de la fragilité, de nombreux experts préconisent son dépistage chez les personnes âgées (5). On croit que la fragilité serait un signe précoce d’un déclin de la santé. À ce titre, elle peut servir de « signe avant-coureur » avant l’apparition de problèmes plus graves ou irréversibles, comme une incapacité. Dans l’exemple de Mme Black, la famille et les médecins voudraient identifier et traiter tous les facteurs qui contribuent à ses symptômes de fragilité. Le but est d’empêcher ou du moins ralentir son déclin.
Par rapport à leurs homologues non fragiles, les personnes fragiles sont plus susceptibles de connaître des complications médicales, une incapacité ou une mort imminente. Elles sont moins susceptibles de résister aux répercussions des interventions médicales sévères telles que la chirurgie ou la chimiothérapie. En identifiant les patients fragiles, les médecins sont capables de modérer ce type d’intervention et de leur fournir des soins mieux adaptés.
Surtout, les chercheurs apportent des preuves que certaines interventions empêchent ou retardent la fragilité et peut-être même la traitent une fois qu’elle s’est produite. Ces interventions incluent (5) :
- l'exercice : exercices d’aérobie et musculation
- l’amélioration du régime alimentaire : ajout de protéines et de calories
- la détection précoce des maladies chroniques
- une bonne gestion des médicaments multiples
Que signifie la fragilité pour les personnes âgées ?
Les personnes âgées elles-mêmes peuvent avoir leur point de vue sur ce que signifie être fragile. Par exemple, des facteurs comme l’humeur, ont été cités comme important pour les patients et leurs familles ; pourtant ils sont souvent négligés par les cliniciens et les chercheurs (1 ; 5 ; 6). La santé psychologique joue un rôle important dans les croyances des personnes âgées au sujet du vieillissement réussi. Dans une étude des personnes âgées où seulement 15 % n’avaient aucune maladie physique, 92 % ont cependant déclaré sentir qu’ils vieillissaient avec succès (7).
Les données de la recherche ont démontré que les stéréotypes du vieillissement, tant positifs que négatifs, sont internalisés par les personnes âgées. Cela peut avoir des effets autant à court terme qu’à long terme sur leur santé (8). Par exemple, lorsque les personnes âgées sont exposées à des stéréotypes négatifs au sujet du vieillissement, leur performance sur les tâches de mémoire, leur écriture manuscrite et leur vitesse de marche, ainsi que des mesures physiologiques telles que la conductance de la peau, le pouls et la pression artérielle se détériorent. En fait, dans une étude, la recherche a montré qu'une augmentation de la vitesse de marche pour les personnes exposées à des stéréotypes de vieillissement positifs était comparable à celle qu'on observe après plusieurs semaines d’exercice rigoureux. Les stéréotypes négatifs agissent comme des facteurs de stress cardiovasculaire alors que les stéréotypes positifs réduisent les signes de stress cardiovasculaire. Des perceptions positives sur le vieillissement ont aussi des effets à long terme impressionnants. On constate que les individus dotés d'une autoperception positive du vieillissement ont de meilleures capacités fonctionnelles sur une période de dix-huit ans.
Ces résultats devraient constituer une mise en garde sur l'effet d'une prophétie qui s'exauce potentiellement quand on étiquette des personnes âgées comme « fragiles ».
L'essentiel sur la fragilité
Nous ne savons pas vraiment si les avantages des traitements ciblés et des soins pour les individus identifiés comme fragiles l’emportent sur le préjudice pouvant résulter de leur étiquetage.